Palestine : ne laissons pas le virus masquer l’apartheid
Categories: Apartheid et colonialisme, BDS-Arguments
Questions abordées dans cet article:
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la nécessité de se dégager de la fascination paralysante de la catastrophe
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les causes de la vulnérabilité dans la Bande de Gaza;
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les responsabilités criminelles de l’État d’Apartheid;
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le fait qu'à l’occasion de l’épidémie du coronavirus, Israël s’attaque à toutes les composantes du peuple palestinien
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qu'attendre d'Israël et de l'UE?
Comité BDS France Montpellier – Dans le mouvement de solidarité à la Palestine et au-delà, les regards qui se portent aujourd’hui vers la Bande de Gaza sont dans l’attente anxieuse des effets catastrophiques d’une extension fulgurante du Covid-19.
La population de la Bande de Gaza est confrontée depuis bientôt 14 ans à une des modalités les plus meurtrières de l’apartheid israélien : l’enfermement et la privation de la liberté de circulation des humains comme des marchandises. Des bombardements massifs presque tous les deux ans causant des milliers de mort-e-s et des dizaines de milliers de blessé-e-s dans la population civile confortent le constat d’un génocide progressif.
Dans ce contexte il ne fait aucun doute que l’arrivée du virus dans une population épuisée par une crise humanitaire et dont la densité est de 5 400 ha au Km2 (117 en France) ouvre des probabilités effrayantes de catastrophe.
Comment aborder cette situation ? Que peut-on attendre d’Israël et de l’Union Européenne ? Que peut le mouvement de solidarité à la Palestine face à une telle situation ? quelles actions de solidarité et avec qui ? Aujourd’hui et dans l’après virus ?
Se dégager de la fascination paralysante de la catastrophe
Essayons d’aborder l’ensemble du problème à la lumière du modèle de décryptage qu‘opère Said Bouamama dans « Le Corona Virus comme analyseur : Autopsie de la vulnérabilité systémique de la mondialisation capitaliste ». L’auteur explique qu’entre les « aléas » c’est à dire les éléments extérieurs perturbateurs (ici le virus) et la « catastrophe » (les conséquences du virus) il y a la « vulnérabilité » c’est à dire les conditions qui ont plus ou moins contribué à produire ou non la « catastrophe ».
l compare « les effets du cyclone Ivan qui touche Cuba en septembre 2004 et ceux du cyclone Katrina qui s’abat sur la Floride, la Louisiane et le Mississipi un an après (…) Tous deux de catégories 5 c’est-à-dire avec des vitesses de vent dépassant 249 km/h, les deux cyclones se soldent pourtant par des bilans humains aux antipodes : aucun décès à Cuba ; 1836 morts et 135 disparus aux USA. » et l’auteur constate : « Des aléas similaires débouchent ainsi sur des conséquences diamétralement opposées ».
Ainsi la « vulnérabilité (qui) désigne pour sa part les effets prévisibles d’un aléa sur l’homme dépendant eux-mêmes d’un certain nombre de facteurs : densité de population des zones à risque, capacité de prévention, état des infrastructures permettant de réagir efficacement et rapidement, etc. » va en quelque sorte déterminer la gravité des conséquences des « aléas ».
Le centrage médiatique sur la « catastrophe » (ce que font généralement les gouvernements) est destiné à masquer les éléments de vulnérabilité et donc les décisions et choix politiques responsables de la vulnérabilité face aux aléas.
Nous ne prétendons pas pouvoir répondre seul.e.s et en une seule fois à toutes ces interrogations mais nous souhaitons ouvrir, localement au moins, le débat sur ces questions qui concernent l’ensemble des mouvements sociaux de la société civile. Nous le ferons à partir des repères fournis par le cadre stratégique de la Campagne BDS sous direction palestinienne dont BDS France Montpellier est membre via BDS France.
Cerner les causes de la vulnérabilité dans la Bande de Gaza …
L’état des lieux de la « vulnérabilité » de la population de la Bande de Gaza est accablant.
Près de 2,5 millions d’habitant-e-s sur 360 km2 (5 400 ha au Km2). Près de 1,8 millions de réfugié-e-s (près de 80% de la population de la Bande de Gaza) entassé-e-s dans 8 camps.
L’ONU prévoyait en 2012 une crise humanitaire pour 2020. Nous y sommes, la crise humanitaire est là.
Septembre 2014 – Manar, 11 ans, et ses amis dans leur école endommagée par les bombardements israéliens à Gaza. Pendant les attaques, Manar et sa famille ont fui leur maison complètement détruite. « J’ai tout perdu dans la maison. Mon bonheur est allé sous les décombres. J’espérais trouver un peu de mon bonheur dans mon école, mais le premier jour de mon retour, les dégâts me choquèrent et me firent peur. Les classes sont surpeuplées et l’eau s’infiltre lorsqu’il pleut. Mais j’aime mon école. Avoir à nouveau une maison et une école convenables pourrait m’aider à oublier tous les mauvais jours que j’ai vécus depuis la guerre. »
Après 14 ans de blocus : 44% de chômeurs dont 61% chez les jeunes. 80% de la population dépend d’une aide étrangère. 10% des enfants ont un retard de croissance dû à la malnutrition. Un taux de pauvreté de 53 %, un taux de mortalité infantile de 10,5 décès pour 1 000 naissances vivantes.
97% de l’eau est non potable et les problèmes d’assainissement sont énormes. 800 produits de consommation courante ou destinés aux entreprises selon une liste (changeante) établie par Israël, sont interdits d’entrée à Gaza.
« L’offre de soins de santé est en déclin constant. Selon l’ONG Medical Aid for Palestinians, depuis l’an 2000 « il y a eu une baisse du nombre de lits d’hôpitaux (de 1,8 à 1,58 pour mille), de médecins (1,68 à 1,42 pour mille) et d’infirmières (2,09 à 1,98 pour mille), avec un surpeuplement et une réduction de la qualité des services ». L’interdiction imposée par Israël à l’importation de technologies susceptibles d’être « à double usage » a restreint l’achat d’équipements, tels que les scanners à rayons X et les radioscopes médicaux.
Des coupures de courant régulières menacent la vie de milliers de patients qui dépendent d’appareils médicaux, avec parmi eux des bébés dans des incubateurs. Les hôpitaux manquent d’environ 40% des médicaments considérés essentiels, et les quantités de fournitures médicales de base, comme les seringues et la gaze, sont insuffisantes. »
Le bilan des Grandes marches du retour (du 30 mars 2018 à début 2020) est lourd, 301 mort-e-s dont 61 enfants de moins de 16 ans, 27 000 blessé-e-s, 130 amputé-e-s. Déjà les hôpitaux ont eu du mal à faire face à cet afflux de blessé-e-s.
Dénoncer les responsabilités criminelles de l’État d’Apartheid …
Ceci n’est qu’un aperçu sommaire et incomplet de la situation dans la Bande de Gaza dont la responsabilité incombe entièrement à l’État d’Israël qui dès sa création a provoqué l’exode des réfugiés dans des camps, colonisé et occupé la Bande de Gaza, puis imposé depuis 14 ans le blocus, mené des bombardements massifs réguliers, des bombardements ponctuels, des assassinats ciblés, des vols permanents de drones, des arrestations arbitraires etc.
Juillet 2014 – Les restes de l’une des écoles de l’UNRWA à Gaza où un tir israélien a tué mercredi 16 Palestiniens. « La nuit dernière, des enfants ont été tués alors qu’ils dormaient à côté de leurs parents sur le sol d’une salle de classe, dans un refuge désigné comme tel à Gaza. C’est un affront pour chacun d’entre nous, une source de honte internationale », a dit Pierre Krähenbühl, chef de l’Agence de l’ONU pour l’Aide aux réfugiés palestiniens (UNWRA) –
La catastrophe, la Nakba comme disent les Palestiniens, se perpétue depuis 1948. Colonisation de peuplement et nettoyage ethnique dans toute la Palestine dont Jérusalem et génocide progressif dans la Bande de Gaza, sans oublier les Palestiniens de 48 soumis à l’apartheid.
Israël devra de ce fait être tenu pour directement responsable des mort-e-s et des dégâts humains et matériels qui pourraient advenir du fait du Covid-19 dans la Bande de Gaza.
A l’occasion de l’épidémie du coronavirus, Israël s’attaque à toutes les composantes du peuple palestinien
Sans doute l’extrême gravité de ce qui se passe à Gaza en fait un symbole et appelle notre solidarité active. A la fois, en raison de la politique génocidaire menée à l’encontre de sa population mais également en raison de la résistance exemplaire de cette même population. N’a-t-elle pas, après 12 ans de blocus et d’attaques aériennes massives et meurtrières réussi à lancer et maintenir pendant 2 ans, chaque vendredi, les grandes Marches du Retour, pour le Retour des réfugiés et la levée du blocus sous les tirs meurtriers des snippers israélien ? Mais l’attaque de l’occupant est généralisée contre l’ensemble des palestinien.e.s où qu’ils.elles se trouvent.
Les massacres commis par Israël lors des rassemblements de la Grande Marche du Retour sont dignes de ceux commis à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud
Dès la création de l’État d’Israël, par un découpage et des assignations géographiques spécifiques doublées de statuts juridiques différents, Israël a fait éclater l’unité du peuple Palestinien. Les Palestinien-ne-s de Cisjordanie et de Gaza, de Jérusalem ou d’Israël sont soumis-e-s à des juridictions israéliennes différentes.
La puissance stratégique de l’appel BDS Palestinien de 2005, en posant comme objectif l’autodétermination du peuple palestinien fixe comme condition préalable à une réelle autodétermination la satisfaction de trois revendications, chacune répondant au problème majeur de chacune des composantes du peuple palestinien.
La fin de la colonisation (Cisjordanie et Gaza), retour des réfugiés dans leurs maisons (de tous-tes les Réfugié-e-s, extérieurs et intérieurs, Révolution. 194-ONU) et égalité absolue pour les palestiniens d’Israël (Palestiniens de 48). Cette stratégie refonde et reconstruit l’unité du peuple palestinien, condition première pour mettre fin à l’apartheid.
Palestinien.ne.s de 48
Nous manquons (à ce jour) d’informations sur les discriminations et les inégalités subies par les palestinien.ne.s d’Israël (Palestinien.e.s de 48) dans les prises en charge sanitaires face à l’épidémie. Elles sont inévitables au regard de la nature officiellement raciste de l’État d’Israël. La loi fondamentale récemment votée déclarant qu’Israël est l’État nation du peuple juif officialise l’apartheid en faisant des 20% des palestinien.ne.s d’Israël des citoyens de seconde catégorie.
Dans le désert du Neguev, à la mi-mars, les autorités israéliennes ont détruit les plantations de centaines d’hectares de terres agricoles dans deux communautés bédouines.
Alors que ces mêmes autorités appelaient à réductions d’activités et interdisaient les rassemblements de plus de 10 personnes, la police, une douzaine de tracteurs « protégés par des membres de la Patrouille verte, une force paramilitaire appartenant à l’Autorité foncière israélienne qui se concentre sur les problèmes d’application de la loi dans le Néguev, se sont présentés à la périphérie de Wadi al-Na’am, le matin, avec des tracteurs. Ils ont ensuite détruit systématiquement une grande partie des cultures, retournant du nord au sud une vaste étendue de terre où se trouvaient des stocks de blé et d’orge, utilisés pour nourrir les moutons et les vaches. »
Depuis des dizaines d’années Israël tente chasser les bédouins de leurs terres ancestrales, les confiner dans des « réserves » et de s’emparer de leurs terres.
Palestinien.ne.s de Cisjordanie
Par contre nous avons les premiers éléments des réactions israéliennes à l’apparition du virus en Israël où viennent travailler de nombreux ouvriers frontaliers palestiniens, du sabotage des installations palestiniennes de soins et des inquiétudes des réfugiés du camp de Suhafat (Jérusalem-est) quant à l’accès aux soins.
L’épisode d’un ouvrier palestinien fiévreux et très mal, jeté à même le sol par les force de polices israéliennes du côté palestinien d’un check-point israélien à la périphérie du village de Beit Sira, à l’ouest de Ramallah a fait le tour des réseaux sociaux. Sans même attendre les résultats du test qu’il avait passé son patron l’a fait expulser par la police.
L’homme au sol est un ouvrier palestinien qui travaille en Israël – Photo : Facebook/capture d’écran
Trois autres cas identiques ont été signalés et gageons que ce n’est que le début : « C’est le vrai visage de l’occupation israélienne », affirme le jeune homme qui a secouru le malade au sol « Ils nous tuent tous les jours, donc ce n’est pas différent pour eux. » « C’est comme si nous étions leurs esclaves », poursuit-il. « Ils nous utilisent quand ils ont besoin de nous, et quand ils ont fini, ils se débarrassent de nous comme des ordures. »
L’association des droits humains B‘Tselem dénonce l’intervention de l’armée israélienne du 26 mars dans la communauté palestinienne de Khirbet Ibziq, dans le nord de la vallée du Jourdain. Avec bulldozer et deux camions à plateau avec grues, l’armée a confisqué deux tentes destinées à une clinique de campagne contre le virus.
Les soldats ont également confisqué (volé) une cabane en tôle en place depuis plus de deux ans, ainsi qu’un générateur d’électricité et des sacs de sable et de ciment. Quatre palettes de parpaings destinées aux planchers des tentes ont été emportées et quatre autres démolies.
Palestinien.ne.s de Jérusalem
Les Réfugiés du Camp de Suafat, en périphérie de Jérusalem-est ont le statut de résident de Jérusalem et relèvent de la juridiction israélienne. Ils sont très inquiets des barrages et obstacles israéliens dans leur accès aux soins. « Le camp n’a qu’une clinique, aucun hôpital », détaille à MEE une porte-parole de l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme Association for Civil Rights in Israel. Les hôpitaux les plus proches sont tous israéliens.
26 mars 2020 – La police israélienne d’occupation contrôle les déplacements des Palestiniens à un barrage à la porte de Damas dans la vieille ville de Jérusalem [Al-Qods] alors que l’occupant israélien a imposé des restrictions accrues dans le cadre de la nouvelle pandémie de coronavirus – Photo : Oren Ziv/ActiveStills
« Nous payons nos taxes, nous demandons donc aux autorités israéliennes qu’elles s’occupent de nous avec le même soin avec lequel elles s’occupent de n’importe quel autre citoyen israélien. En tant qu’État occupant, Israël a le devoir de nous prendre en charge. Car où peut-on aller ? Vers qui peut-on se tourner ? », déplore Khaled al-Sheikh.
« Nous sommes seuls, nous n’avons aucun appui officiel », insiste-il. Pas de respirateur artificiel, pas de véhicule dédié pour le transport d’éventuels patients infectés par le coronavirus, ni de bâtiment officiel pour placer les cas suspects en quarantaine…
Même scénario dramatique pour les habitants de Kufr Aqab de l’autre côté du mur mais officiellement rattaché à la municipalité de Jérusalem. « Dans cette zone où s’entassent 70 000 Palestiniens, trois personnes infectées ont été éloignées la semaine dernière par les habitants, qui se sont organisés pour qu’elles soient tenues à l’écart du quartier, rapporte Mounir Zgheir, à la tête du comité qui représente les habitants. »
« Israël veut depuis des années se débarrasser de ces zones et de leurs habitants. Israël n’a pas construit la barrière de séparation de cette manière sans raison : il voulait couper ces zones de Jérusalem », poursuit le chercheur. En 2015, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou avait d’ailleurs évoqué la possibilité de révoquer le statut de résident des habitants de ces quartiers.
Palestinien.ne.s réfugié.e.s de la Bande de Gaza
Comme toujours Gaza bénéficie d’un régime spécial de répression. Le vendredi 27 mars en soirée trois raids de l’armée de l’air israélienne ont bombardé le nord de la Bande de Gaza où se trouve le camp de réfugiés de Jabalia.
Bombardement israélien sur Gaza, février 2020 – Photo : via Al-Jazeera
Et les 5000 prisonnier.e.s palestinien.ne.s …
Cinq mille prisonniers politiques palestiniens sont détenus par Israël dont 180 mineurs. « Notre inquiétude croissante pour les prisonniers et détenus palestiniens pendant l’évolution de la pandémie de COVID-19 vient de la négligence médicale systématique et quotidienne dans les centres de détention et d’interrogatoire israéliens », a dit mardi Addameer, l’association de défense des droits des prisonniers.
L’association mène une campagne internationale pour demander la libération de tous les prisonniers.
Prisonniers palestiniens dans une prison militaire israélienne – Photo: via ChameleonsEye
Au prétexte de l’épidémie, Israël depuis début mars, multiplie les brimades, renforce l’isolement et viole les droits des prisonniers. Interdictions des visites des familles et des avocats. Refus d’installer des téléphones fixes pour permettre aux prisonniers de parler à leurs familles – comme cela avait été promis auparavant.
Qu’attendre d’Israël et de l’UE ?
De la part de l’État israélien et son gouvernement raciste rien de bon, c’est évident. Le pire est déjà là et il ne peut qu’empirer. Les bombardements ci-dessus et les quelques exemples cités en ce début d’épidémie montrent qu’Israël fera tout pour tirer partie de l’épidémie au profit de son nettoyage ethnique et du vol des terres palestiniennes.
Quand à l’union européenne, la complicité est flagrante et dans cette période où « sauver le capitalisme » sera sa priorité absolue, il n’y en a rien à attendre non plus.
Mais ce constat ne date pas d’aujourd’hui. C’est ce constat qui a donné jour à l’appel BDS palestinien de 2005, qui constatant la complicité de la « communauté internationale » s’est tourné vers les sociétés civiles de la planète en les appelant :
Allons-nous répondre à cet appel ? comment aujourd’hui ? comment dans l’après virus et avec qui ?
Comité BDS France Montpellier
4 avril 2020 – Campagne BDS France Montpellier