Lettre ouverte au journal Le Temps
Categories: Boycott culturel
PDF: La lettre ouverte de BDS CH au journal Le Temps
"Une forme de ton qui ne sied pas ..."
La regrettable dérive du journal "Le Temps"
Dans son édition du samedi 1er décembre, le journal « Le Temps », édité à Genève, publie une annonce de l'association Suisse-Israël, qui salue à sa manière l'admission de l'État de Palestine à l'ONU, en accusant le gouvernement suisse de « récompenser la terreur du Hamas » (annexe ci-dessous). Violente dans ses termes, cette réclame est aussi ouvertement diffamatoire, qualifiant de suppôts du terrorisme le Conseil fédéral et la majorité des gouvernements ayant accepté la Palestine dans le concert des nations.
Les sympathisants du mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) sont très étonnés que le journal « Le Temps » ait permis à cette prose grossière de s'exprimer sur une grande demi-page. Ils se souviennent avec ironie qu'en novembre 2011, ce journal avait refusé une insertion payante du mouvement BDS en Suisse, qui souhaitait faire publier l'adhésion de plus de cent acteurs culturels, dont des artistes de rang international, au boycott culturel de l'Etat d'Israël (PACBI).
Pour justifier ce refus, la direction éditoriale et la rédaction en chef du « Temps » avaient prétendu que la déclaration des artistes met en cause un État et des entreprises « sans en établir les faits », et que son ton « ne sied pas » aux exigences du journal(1). L'argumentaire des artistes s'appuie pourtant sur des sources de droit international et de droit humanitaire, ainsi que sur des données factuelles innombrables(2,2b). Les rapports annuels des experts des Nations-Unies sur la Palestine reconnaissent, en effet, dans le régime imposé par l'État d'Israël, les traits du colonialisme, de l'Apartheid et de l'occupation étrangère.
Parmi les formes de pressions que la société civile développe pour s'opposer à cet état de fait, les campagnes de boycott, ainsi que l'application, par des institutions publiques et privées, de mesures de désinvestissement et de sanctions, empêchent effectivement les affaires commerciales avec Israël de se dérouler tranquillement(3). Rappelons que la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) et l'Appel palestinien au boycott culturel et académique d'Israël (PACBI) ont été lancés en 2004 et 2005 par plus de 170 associations de la société civile palestinienne. Tout cela est parfaitement documenté, et nous déplorons que « Le Temps » ait pris le risque d'agiter des prétextes fallacieux pour les balayer.
Cette censure regrettable contraste avec la bienveillance avec laquelle « Le Temps » accueille dans ses pages un pamphlet raciste, qui réduit au terrorisme la résistance à l'oppression de millions de Palestiniens et qui accuse de manière infondée les gouvernements qui reconnaissent le droit de la Palestine à l'autodétermination. Nous sommes surpris que « Le Temps » n'invoque pas la bienséance dans cet objet, pourtant chargé d'extrémisme. Nous déplorons de même que « Le Temps » continue de publier régulièrement des appels à dons du KKL, fausse institution de protection de l'environnement et véritable ingénieur de la destruction de villages palestiniens depuis la fondation de l'État d'Israël(4).
« Le Temps » aime ériger l'éthique et l'élégance en principes de son marketing. Nous observons que dans la pratique, les dirigeants du journal sont prêts à les brader. Nous regrettons profondément cette dérive vers la partialité et la duplicité de la part d'une publication qui prétend au titre de quotidien de référence.
BDS CH
(réponse du rédacteur en chef du Temps en bas de page)
Notes :
(1) Mettre en cause et qualifier un État ou une organisation sans en établir les faits reconnus sont des éléments pouvant, voire devant amener à écarter une proposition d'annonce [...] Une forme de ton qui ne sied pas aux exigences de qualité que se fixe une entreprise comme « Le Temps » (message électronique de « Le Temps Media » du 25 novembre 2011).
(2) John Dugard (A/HRC/4/17, 2007) et Richard Falk (A/65/331, 2010), rapporteurs de l'ONU sur les Territoires palestiniens occupés ; Tribunal Russell sur la Palestine (novembre 2011) ; rapport Separate and Unequal. Israel Discriminatory Treatment of Palestinians in The Occupied Palestinian Territories (Human Right Watch, décembre 2010). Et pour se mettre à jour : Observations adressées à Israël par le Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD/C/ISR/CO/14-16, avril 2012).
(2b) Sur la faillite de l'exportateur Agrexco (racheté en 2011 par Mehadrin), impliqué dans la colonisation agricole de la Cisjordanie (Globes, site israélien d'informations financières). Sur les déboires de la multinationale Veolia (2009), impliquée dans la réalisation du tramway reliant les colonies autour de Jérusalem (Haaretz). M. Richard Falk, actuel rapporteur de l'ONU sur les Territoires occupés met en lumière, dans son dernier rapport, le rôle des acteurs économiques dans la colonisation israélienne en Cisjordanie rôle des acteurs économiques dans la colonisation de la Cisjordanie(A/67/379, septembre 2012). Voir aussi le site « Who Profits. The Israeli Occupation Industry », base de données réalisée sous la responsabilité de la Coalition of Women for Peace (CWP).
(3) Tom Anderson, Therezia Cooper, Jack Curry, Georgia Clough, Pete Jones, Targeting Israeli apartheid – a boycott, divestment and sanctions handbook, Londres : Corporate Watch, 2011.
(4) Au sujet du Keren Kayemet LeYisrael (KKL), voir le site http://stopthejnf.org/ - En 2011, la municipalité de Genève, ayant découvert ses visées politiques, a retiré au KKL son statut d'organisation de bienfaisance.
Réponse de Pierre Veya, rédacteur en chef du Temps du 21.12.2012