Une motion qui met en cause des droits fondamentaux
Categories: Attaques contre BDS, BDS-Arguments, Droit international
Le 8 mars, Le Conseil National a mis en délibération la motion de Christian IMARK, qui demande à la Confédération que « des fonds publics suisses dévolus de façon directe ou indirecte à la coopération au développement ne puissent plus être attribués si les organisations non gouvernementales (ONG) qu’ils soutiennent sont impliquées dans des menées à caractère raciste, antisémite, ou incitant à la haine ou encore dans des campagnes BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) ». Malgré la recommandation du Conseil Fédéral de rejeter la motion, elle a été acceptée grâce à l’UDC, au PLR et à la moitié du PDC.
Lors de sa réunion du 4 avril, la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats a modifié la texte de la motion et supprimé la mention de BDS de l'application. Le vote sur le texte amendé aura lieu au Conseil des Etats lors de la session d'été.
Cette démarche issue des cercles de l’UDC devrait susciter de sérieuses inquiétudes auprès des personnes et des organisations qui s’engagent pour la liberté d’opinion, le droit des peuples, - y compris quand il s’agit de responsabilités d’Etats tiers - et se dressent contre le populisme raciste et la rhétorique antiterroriste propres à ce parti. Avec ses attaques contre des ONG et des campagnes comme BDS, dont le seul « crime » est de défendre les droits légitimes des Palestiniens à la liberté, l’égalité et la justice, la motion IMARK poursuit deux buts :
Présenter comme racistes, antisémites ou ayant partie liée avec le terrorisme – et donc criminaliser – tous les groupes et personnes critiquant la politique d’occupation, de colonisation et de ségrégation du gouvernement israélien.
Tenter de délégitimer des principes de droit international, comme par exemple ceux exprimés dans la Quatrième Convention de Genève (visant à garantir la sécurité des populations civiles en période de conflit armé) ou encore d’exonérer des Etats tiers de leurs responsabilités au nom d’une prétendue « neutralité ». On en vient ainsi à faire valoir le droit du plus fort.
La motion reprend ainsi une campagne du gouvernement israélien dirigée contre ceux qui le critiquent. A considérer les positions de l’UDC en matière d’immigration, de défense de « valeurs nationales » et de lutte antiterroriste, cette coopération n’a pas de quoi étonner.
Tant l’UDC que le PLR entretiennent d’étroites relations avec le gouvernement israélien. Le groupe parlementaire Suisse-Israël, composé essentiellement de membres de ces deux partis, a été invité à prendre la parole devant la Knesset et ne s’est pas privé de visiter de surcroît une colonie illégale en Cisjordanie.
La liberté d’opinion est un droit fondamental pour toute société qui se réclame de principes démocratiques. Elle est non seulement protégée par des accords internationaux, mais est partie intégrante du droit constitutionnel en Suisse et dans de nombreux pays. Israël tente de restreindre drastiquement ce droit en Palestine/Israël même, et également sur le plan international. Des députés palestiniens à la Knesset sont l’objet de poursuites et ont subi des violences entraînant des blessures par des agents de sécurité, au moins dans un cas avéré. Des organisations israéliennes comme Breaking the Silence, qui donne une voix critique à des soldat(e)s et dénonce des crimes de guerre, sont menacées. Le 21 mars 2017, une loi a été promulguée pour créer une banque de données recueillant des informations sur des citoyens partisans du boycott.
Sensiblement pire est la situation des ONG palestiniennes. En été 2016, Israël a arrêté des agents de l’ONU, au motif qu’ils travailleraient pour le HAMAS. Le fait a été relaté dans le monde entier par nombre d’organes de presse. Il a fallu attendre des mois avant que ces agents soient libérés, au vu de la vacuité des accusations dont ils avaient été l’objet. Cependant Israël a gagné une bataille médiatique et a réussi à discréditer les activités de l’ONU dans la bande de Gaza.
L’an dernier, de nombreux défenseurs des Droits humains ont été arrêtés à la frontière israélienne, soumis à des interrogatoires puis expulsés ; il en a été ainsi de délégués du Conseil Œcuménique des Eglises, qui désiraient participer à une conférence sur l’Environnement à Bethléem ou encore d’une Suissesse qui devait visiter des projets à Gaza pour le compte d’une ONG. Ces pratiques sont constamment durcies. Récemment, la Knesset a promulgué une loi visant à interdire à des étrangers l’accès au pays s’ils sont soupçonnés d’être engagés en faveur des Palestiniens par BDS.
Ces attaques massives contre la liberté d’opinion ne nous étonnent pas. Israël est l’Etat le plus fréquemment condamné par l’ONU pour ses constantes violations du droit international, il a vraisemblablement commis de nombreux crimes de guerre dans la bande de Gaza, fait usage de violence disproportionnée en matière militaire, refuse à des rapporteurs spéciaux du Conseil des Droits humains de l’ONU l’accès aux territoires palestiniens occupés et reste un des rares Etats qui refuse de reconnaître la Quatrième Convention de Genève, dont il a été question plus haut.
La motion IMARK a pris à son compte les attaques contre la liberté d’opinion. Des organisations comme l’EPER, CARITAS, et même des institutions culturelles comme le Festival international de Films sur les Droits Humains, pourraient devoir prochainement justifier leurs choix et leur collaboration avec de nombreux partenaires. Elles risquent de perdre leurs subventions si elles ne se conforment pas aux règles établies par les forces conservatrices.
De façon plus générale, le UDC et d’autres partis de droite essaient d’instaurer un climat politique qui permettrait de criminaliser ceux ou celles qui mettraient en question leurs positions. De plus en plus, des droits fondamentaux sont restreints, par exemple en matière de droits des femmes ou quant à la possibilité pour les migrants de manifester. De la sorte, les organisateurs sont tenus de satisfaire à toujours plus de formalités et à fournir plus de « garanties ». Finalement, quand une manifestation a lieu, les participants se trouvent confrontés à une police militarisée qui s’en prend à eux avec une violence démesurée.
Compte tenu du climat politique qui prévaut actuellement en Suisse, il serait dangereux de prendre des initiatives comme cette motion à la légère. En faisant preuve de réserve, en se taisant, on n’aide pas les diverses ONG, les organisations, les associations etc. ni les nombreux(ses) citoyens(-ennes) qui s’engagent en faveur des droits civiques dans leur volonté de faire pièce au cynisme des partis de droite xénophobes et populistes qui forment actuellement la majorité au Parlement.
Même si cette attaque directe sur le mouvement BDS palestinien et les droits fondamentaux des Palestiniens a été évitée pour le moment, il est à craindre que d'autres initiatives soient lancées par des forces conservatrices et des alliés d'Israël, il nous faudra donc rester attentifs !
Pour en savoir plus:
- Motion Imark, une attaque contre BDS
- éditorial et article dans Le Courrier du 3 mars 2017