La minorité palestinienne d’Israël a organisé sa première conférence BDS
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Jonathan Cook
L’importante minorité palestinienne d’Israël a tenu sa toute première conférence BDS le week-end dernier, en dépit d’une législations anti-boycott introduite il y a cinq ans, en application de laquelle les militants sont passibles de lourdes pénalités financières. Un des participants y a vu un signe que la minorité palestinienne est en train d’émerger lentement du “règne de la terreur” instauré par cette loi.
Les dangers inhérents à la promotion de la campagne BDS à l’intérieur d’Israël sont mis en évidence par les difficultés rencontrées par les organisateurs de la conférence pour trouver une salle. Un cinéma privé de Nazareth a accepté d’accueillir l’événement, après que plusieurs autres salles publiques de Haïfa aient refusé, apparemment par crainte d’être sanctionnées par le gouvernement israélien.
La question de savoir dans quelle mesure il est possible, pour les 1,6 million de citoyens palestiniens d’Israël de promouvoir BDS était en tête de l’ordre du jour de la conférence, avec plusieurs orateurs traitant des aspects juridiques et stratégiques.
L’allocution d’ouverture de la conférence a été prononcée par Mohammed Barakeh, responsable du “Haut Comité de suivi”, un organisme de coordination qui représente toutes les factions politiques, ce qui est un signe d’une évolution de principe de la direction palestinienne en Israël en faveur du soutien politique à BDS. Barakeh a déclaré que BDS est “une forme importante de solidarité avec les Palestiniens” et cause une panique croissante parmi les dirigeants israéliens.
Il y a, dit-il, un lien entre “le soutien à BDS et notre survie dans les conditions actuelles” de montée du racisme israélien, l’assassinat de Palestiniens par les “forces de sécurité” israéliennes, l’expansion des colonies et l’enracinement de l’occupation.
Il a relevé les arguments, faisant écho à ceux qu’utilisaient jadis les partisans de l’Afrique du Sud, selon lesquels BDS infligerait surtout des souffrances aux travailleurs palestiniens. “Les combattants anti-apartheid en Afrique du Sud avait une réplique simple : l’apartheid nous nuit plus encore”.
Barakeh a admis que BDS pose des problèmes particuliers aux Palestiniens d’Israël. “Nous ne pouvons pas tout boycotter. Nous avons besoin d’écoles, de passeports, de sécurité sociale. Nous avons le droit d’être des citoyens et de vivre dans notre patrie.”
Menaces juridiques
La conférence – intitulée “BDS et les Palestiniens de 1948 : entre l’influence internationale et le contexte local” – avait connu une longue gestation. En 2009, les factions politiques des Palestiniens d’Israël avaient mis sur pied un groupe de travail appelé “Comité Boycott ’48” – en référence aux Palestiniens qui avaient réussi à demeurer sur leur terre en 1948 et finalement devinrent des citoyens israéliens – afin d’examiner la question du soutien à BDS.
Les lignes directrices qu’il avait formulées en 2012 furent enterrées par l’entrée en application de la loi dite “anti-boycott” que le parlement israélien avait adoptée un an plus tôt. Cette loi exposait toute personne qui, à l’intérieur d’Israël, appelle au boycott, même limité aux seules colonies, à une faillite potentielle sur décision d’un tribunal civil israélien. Les entreprises et les citoyens israéliens, ainsi que les colons, étaient en effet en droit de leur réclamer des dommages et intérêts illimités [1].
La conférence est maintenant redevenue possible, ont admis les organisateurs, parce que l’an dernier la Cour suprême israélienne, tout en rejetant un recours visant à l’annulation de la loi, a posé des limites en ce qui concerne son application [2].
L’événement était sponsorisé par trois groupes : le “Comité Boycott ’48”, Mitharkeen, un groupe d’action directe comprenant des Palestiniens d’Israël, de Cisjordanie et de Gaza, et Hirak Haifa, un groupe de jeunes basé dans la grande cité du nord d’Israël.
Sawsan Zaher, une avocate appartenant au centre de soutien juridique aux Palestiniens d’Israël Adalah, a passé en revue les implications pour les citoyens israéliens de promouvoir BDS, ainsi que les moyens d’éviter les procès. La loi de 2011, a-t-elle souligné, interdit à toute personne qui préconise BDS de bénéficier de la moindre commande publique ou d’émarger au budget de l’État de quelque manière que ce soit.
Peu de Palestiniens d’Israël sont concernés par le premier cas de figure. Mais des entités comme des associations culturelles, des partis politiques, des écoles, des bibliothèques qui ont reçu des subventions de l’État pourraient être prises comme cible, ce qui rendrait malaisé pour les institutions palestiniennes de manifester leur solidarité.
Propagande sioniste
L’an dernier, un arrêt de la Cour suprême a cependant atténué l’impact sur le militantisme au sein de la société civile, qui a retrouvé une certaine marge de manœuvre. Les juges ont en effet estimé qu’un plaignant qui réclame des dommages-intérêts doit démontrer qu’un appel en faveur de BDS a causé un dommage mesurable et qu’il existe un lien de causalité direct entre le militantisme et le dommage subi.
Le fait d’exprimer un soutien à BDS en général, ou l’appel à un boycott des colonies, ne rentre plus dans le cadre de la loi, a-t-elle estimé, mais bien le fait de viser une entreprise en particulier.
Raja Zaatry, qui représentait le “Comité Boycott ’48” a estimé qu’un combat mené en Israël dans le cadre de la campagne BDS doit être précautionneusement adapté aux réalités locales. L’objectif de la loi de 2011 était de “terroriser la société israélienne” et le principal défi de la campagne BDS était de gagner une place dans le courant dominant parmi les Palestiniens en Israël.
La priorité des priorités, a-t-il suggéré, devrait être de faire en sorte que la minorité palestinienne cesse d’être impliquée dans les propagande sioniste contre BDS.
Comme d’autres participants à la conférence, il s’en est en effet pris aux Palestiniens d’Israël qui contribuent à “blanchir” l’image d’Israël à l’étranger. La chanteuse Mira Awad a été nommément prise à partie pour ses apparitions dans des spectacles [1] à l’étranger pour représenter Israël, comme elle le fit en Espagne ou en Inde.
Prenant un autre exemple, Zaatry a relevé que l’université d’Ariel, située dans une colonie du même nom implantée au cœur de la Cisjordanie, a exploité le fait que 300 citoyens palestiniens y étudiaient pour suggérer qu’elle fait la promotion de la coexistence. A ses yeux, la minorité palestinienne devrait commencer par lancer des campagnes contre l’Université d’Ariel et les produits des colonies [juives de Cisjordanie].
Les Palestiniens d’Israël pourraient aussi renforcer le mouvement international BDSen mettant en évidence non seulement les brutalités de l’occupation, mais également le racisme systématique auquel ils sont confrontés à l’intérieur d’Israël.
Mais il a aussi mis en évidence certaines complexités : “Nous devons être prudents. Beaucoup de Juifs israéliens boycottent déjà les communautés palestiniennes à l’intérieur d’Israël, comme Nazareth. Nous ne désirons pas alimenter ce genre de racisme avec notre propre forme de boycott contre leurs cités”.
Cette vidéo de solidarité provenant d’Afrique du Sud a été projetée au cours de la conférence :
Boycotter la Knesset
La campagne BDS a été confrontée à son plus redoutable défi dans l’arène politique en Israël.
Le comité avait évité de formuler des propositions qui soient sources de division, a expliqué Zaatry, en particulier en ce qui concerne le problème le plus controversé au sein de la minorité palestinienne : faut-il ou non boycotter le parlement israélien ?
Les élus de la “liste conjointe”, qui rassemble quatre factions politiques, constituent actuellement le troisième plus important groupe politique à la Knesset. Deux autres partis, le parti laïc Abnaa al-Balad, et le Mouvement islamique, récemment déclaré hors-la-loi, ont l’un et l’autre rejeté l’idée de participer aux élections nationales.
La position du comité avait reçu l’appui de Omar Barghouti, un des fondateurs du mouvement BDS. Au cours d’une table-ronde il a déclaré que la décision de boycotter la Knesset devrait attendre jusqu’à ce que se forme un consensus plus large sur la question.
Quoique la “liste conjointe” n’ait pas adopté les lignes directrices de BDS, Zaatry fit remarquer qu’une des factions qui la composent, le Parti Communiste, a adopté l’an dernier une résolution qui soutient le boycott des colonies. Les membres d’une autre faction, Balad, ont exprimé leur soutien à cette même politique.
Mais Zaatry a aussi rappelé que les partis politiques exercent des pressions : il y a deux ans Avigdor Lieberman, qui était à l’époque Ministre des Affaire étrangères, avait fait pression sur l’Université de Haïfa pour qu’elle licencie Yousef Jabareen, qui était à l’époque maître de conférences et qui siège aujourd’hui à la Knesset, parce qu’il avait participé à un débat sur BDS.
Un objectif important, a encore estimé Zaatry, était de bâtir une lutte commune avec les Juifs israéliens sympathisants afin de contrer la propagande gouvernementale selon laquelle le soutien à BDS relève de l’antisémitisme.
Le rôle du milieu universitaire
Anat Matar, philosophe de l’Université de Tel Aviv a abondé dans le même sens. Elle a souligné que le milieu universitaire israélien fait partie intégrante de l’oppression des Palestiniens, en raison des liens étroits entre les universités et les diverses industries israéliennes du secteur de la sécurité. Les universités israéliennes se donnent aussi beaucoup de peine pour établir des relations fortes avec les milieux universitaires à l’étranger.
Faisant écho à l’appel de Zaatry pour que la campagne BDS en Israël soit très pragmatique, elle a affirmé que les universitaires sympathisants devraient refuser des conférences internationales en Israël. Mais, dit-elle, elle préfère participer à des conférences à l’étranger : “Je me sens plus libre de dire ce que je pense réellement de BDS quand je suis à l’étranger”.
Omar Barghouti, pour sa part, a mis en évidence les succès de la campagne BDSdepuis son lancement par la société civile palestinienne en 2005, et l’importance de garder le mouvement ouvert à tous, y compris les Juifs israéliens.
Selon lui, la loi de 2011 implique que la minorité palestinienne ne peut pas prendre des entreprises pour cible [d’un boycott], mais il suggère que des militants collectent et publient des données à propos de ceux qui tirent des profits de l’occupation. Il a exhorté les militants à se montrer aussi créatifs que possible.
D’autres militants ont encore tenté de formuler des suggestions pratiques quant aux moyens pour les citoyens palestiniens d’Israël de contribuer au mouvement BDS.
Haneen Maikey, de Al-Qaws, une organisation qui milite pour la diversité sexuelle et de genre au sein de la société palestinienne, a souligné que la communauté LGBT [4] devrait travailler dur pour contrecarrer la propagande d’Israël en matière de “pinkwashing” – les efforts d’Israël pour se faire passer pour “gay-friendly”. Cette propagande a été conçue pour “détourner l’attention des violations des droits humains au détriment des Palestiniens”. Elle a ajouté que les mouvements LGBT en Israël devraient persuader leurs homologues étrangers de ne pas participer à des événements tels que la “Gay Pride March” à Tel Aviv. Ils devraient aussi se montrer très présents lors de conférences LGBT à l’étranger afin d’essayer de contester la narration israélienne, dont les agents s’y montrent très actifs.
Les profiteurs de l’occupation
Hadeel Badarneh, de l’organisation “Who Profits ?”, qui dévoile quelles sont les entreprises qui tirent profit de l’occupation, a expliqué qu’il est important de penser au-delà du seul cas des industries de sécurité et des colonies, et de prendre en considération ce qu’elle appelle “l’infrastructure israélienne du contrôle économique”.
Tnuva, producteur israélien de produits laitiers à capitaux chinois, a tiré profit du fait que la population de la Cisjordanie était dépendante de ses produits pour créer un monopole qui représente 60 millions de dollars pour la seule Cisjordanie.
De manière similaire, la compagnie Nesher a pris le contrôle de 85% du secteur de la construction dans la zone, y compris en ce qui concerne la fourniture de la majeure partie du ciment nécessaire pour la reconstruction de la Bande de Gaza après les agressions destructrices répétées d’Israël contre l’enclave.
Elle note qu’on constate une tendance croissante aux “investissements éthiques”, et les militants jouent discrètement un rôle pour exercer une pression sur les entreprises pour qu’elles se retirent d’Israël.
Les questions culturelles aussi fortement mises en évidence
Suha Arraf, qui avait suscité la fureur des dirigeants israéliens en 2014 en désignant le film Villa Touma comme un film palestinien alors qu’il avait été financé par des fonds israéliens, a exprimé les difficultés rencontrées par les artistes palestiniens pour trouver des moyens de financer leur travail.
Elle dit que les pays arabes refusent de financer des projets, qu’ils considèrent comme participant de la “normalisation” [de l’occupation], tandis que l’Autorité Palestinienne manque de moyens financiers. Les bailleurs de fonds étrangers, quant à eux, n’acceptent généralement d’intervenir qu’en complément de financements d’origine locale.
Elle estime que le mouvement BDS se doit de mettre au point des sources de financement alternatives si on attend des artistes qu’ils rejettent l’aide israélienne.
Liens culturels
La conférence a aussi entendu une intervention de Ali Muasi, un enseignant qui a été récemment bien malgré lui une vedette des médias locaux. Muasi a été licencié samedi dernier par son école, située dans la ville de Baqa al-Gharbiyya, au centre d’Israël, parce qu’il avait projeté devant ses élèves un film palestinien intitulé “Omar”, qui traite des efforts agressivement déployés par Israël pour recruter des collaborateurs dans le but d’affaiblir la société palestinienne.
Alors que jusqu’ici il n’est nullement apparu que Ali Muasi ait violé une quelconque règle, le Ministère de l’éducation n’a jusqu’à présent manifesté aucune intention de le soutenir contre ce licenciement.
Muasi a parlé des exigences contradictoires du boycott et de la nécessité pour les Palestiniens en Israël et dans les territoires occupés de maintenir des relations politiques et culturelles avec le monde arabe. Il rejette la position actuelle de BDSselon laquelle des artistes arabes peuvent se rendre dans les territoires occupés alors que les Palestiniens vivant en Israël ne le pourraient pas. Selon lui, il faut s’opposer aux visites dans les deux cas. “Nous devons soumettre de telles visites à une condition : est-ce qu’elles nous aident à progresser vers notre projet de libération nationale ?”.
A son avis, la plupart des visites n’offrent rien de plus que du divertissement, tout servant principalement à conférer de la légitimité à Israël. Grâce à l’Internet, a-t-il ajouté, il est aisé pour les Palestiniens de maintenir des liens culturels avec la région sans devoir s’y rendre. “Nous devons nous demander dans quelle mesure ces visites nous aident à changer notre situation. C’est la même question que nous devons nous poser en ce qui concerne notre participation à la Knesset.”
A des membres de l’assistance qui exprimaient leur opposition à ses vues, Muasi a rétorqué que si des artistes arabes exprimaient clairement leur opposition à l’occupation il seraient traités de la même manière que l’intellectuel étatsunien Noam Chomsky, à qui Israël a refusé l’entrée du territoire en 2010. Néanmoins, Muasi fait une exception en ce qui concerne les Palestiniens vivant en exil. Il estime qu’ils devraient venir – même si pour cela ils ont besoin de l’autorisation des militaires israéliens – car le renforcement de leurs liens avec la patrie palestinienne est une priorité.
[1] selon cette loi, les plaignants ne devaient même pas prouver l’existence d’un quelconque préjudice dans leur chef. – NDLR
[2] En 2009, Mira Awad fut la première Arabe choisie pour représenter Israël au Concours Eurovision de la chanson aux côtés de Noa – NDLR
[3] LGBT : Lesbiennes, gays, bisexuels et trans, terme utilisé pour désigner les personnes non hétérosexuelles et/ou cisgenres. – NDLR
Cet article a été publie sur le site Mondoweis le 2 mars 2016 sous le titre “Emerging from a ‘reign of terror’: Palestinians in Israel hold first BDS conference”.
Traduction : Luc Delval
Jonathan Cook vit à Nazareth et est lauréat du prix spécial Martha Gellhorn de journalisme. Ses ouvrages récents sont « Israel and the Clash of Civilisations: Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East » (Israël et le choc des civilisations : l’Irak, l’Iran et le plan de remodelage du Moyen-Orient) (Pluto Press) et Disappearing Palestine: Israel’s Experiments in Human Despair (La disparition de la Palestine : expérimentations israéliennes autour du désespoir humain) (Zed Books). Son site web personnel est : www.jonathan-cook.net.