Achat de drones israéliens par la Suisse
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Achat de Drones israéliens par la suisse, pourquoi ?
Anciens drones obsolètes
En 2001 l'armée suisse se dotait de 26 drones ADS 95 Ranger, de production suisse, développés conjointement par les sociétés Oerlikon Contraves et RUAG Aerospace AG en collaboration avec deux compagnies israéliennes: Israel Aerospace Industries (IAI) et Tadiran Electronic Systems Ltd.
Après 12 ans d'exploitation les experts militaires les jugent obsolètes au vu de l'évolution de la technologie et on estime que seuls 16 de ces 26 appareils sont encore en état de voler.
Ces raisons motivent l'armée à remplacer ces drones ADS 95. Un appel d'offre d'un montant de 300 à 400 millions de francs suisses pour 6 drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) a donc été lancé par le Département fédéral de la Défense (DDPS).
A l'issue des premières évaluations portant sur neuf entreprises, deux appareils d'origine israélienne ont été présélectionnés : le Heron 1 (dont le Harfang, actuellement mis en oeuvre par l'armée de l'Air français, est dérivé) d'IAI et le Hermes 900 d'Elbit System [pour des informations concernant ces deux entreprises, voir plus loin]. Le prix estimé pour cette acquisition se monte à à 300 à 400 millions de francs suisses Cette somme inclut les aéronefs, la formation, la maintenance et l'entraînement, a précisé Kaj-Gunnar Sievert, porte-parole d'Armasuisse (Le Matin, 30.4.2012; Le Temps 1.5.2012). Les appareils doivent être livrés en 2015.
Les deux constructeurs israéliens dont les appareils ont été retenus ont soumis en été 2012 une offre détaillée. Les deux modèles ont été présentés et testés à partir de l'aérodrome militaire d'Emmen en septembre et octobre 2012. En phase d'évaluation, le choix définitif se fera en 2014 et les appareils seront intégrés dans le programme d'armement en 2015.
Le journal 24h du 21.9.12 cite François Furer, le chef de la communication d'Armasuisse: "Mais c'est le parlement qui devra obligatoirement donner son feu vert" (Si le crédit est voté, les nouveaux drones seront opérationnels dans le ciel suisse en 2017.
A quoi vont servir ces drones?
Ce même article cite Roland Ledermann, le responsable du projet à Armasuisse, les drones "auront trois missions principales, la reconnaissance aérienne, la surveillance d'un territoire donné et l'aide aux patrouilles du corps des gardes-frontière." A la question de savoir pourquoi la Suisse ne s'équipe pas de drones armés pour patrouiller le ciel, Lebermann répond que "cette question n'est pas à l'ordre du jour" et que la décision doit être prise par le commandement de l'armée.
Ces drones convoités par l'armée suisse sont-ils destinés à être armés ? Un article de La Liberté du 3.5.2013 donne un peu plus de détails. D'après Hervé de Weck, qui est interviewé dans cet article, en cas de conflit « moyennant quelques modifications, ils pourraient emporter un ou plusieurs missiles. » Il ajoute qu'en temps de paix, outre leurs missions classiques de reconnaissance « ils pourront aussi être utilisés pour la surveillance de grandes manifestations comme le Forum de Davos. »
Vu l'aspect potentiellement intrusif des drones, le commandant au commandement des drones suisses, Othmar Flückiger, précise que ce type de moyens «devra encore faire l'objet d'une décision du commandement de l'armée». (...)vu les problèmes juridiques que cela pose, la décision remontera jusqu'aux autorités politiques".
Pourquoi des drones israéliens?
Israël est un des grands exportateurs de drones.
L'alternative aurait été d'acheter les drones à l'autre grand fabriquant : les Etats-Unis, mais les firmes américaines, qui bénéficient d'un large marché domestique, sont moins tournées vers l'exportation où elles sont handicapées par un processus d'approbation très complexe.
La Suisse n'est pas le seul pays à envisager l'achat de drones israéliens. La décision de la France de Sarkosy d'acheter des drones israéliens a suscité une pétition de BDS-France intitulée : Non à l'achat par la France de 318 millions d'euros de drones à Israël - Embargo militaire immédiat contre Israël.
Réactions contre l'achat de drones israéliens en Suisse
Le 10.5.2012, peu après l'annonce du projet d'achat de drones israéliens par armasuisse, l'association Suisse-Palestine a publié un communiqué de presse où l'on peut lire:
La Suisse doit faire des gestes de paix au lieu d'acheter du matériel de guerre
L'Association Suisse-Palestine demande au Conseil fédéral d'accueillir des prisonniers politiques palestiniens, grévistes de la faim en danger de mort, plutôt que d'acheter des drones israéliens pour l'armée suisse (...)
A l'inverse de l'effet désastreux, en terme de politique étrangère et d'image de pays dépositaire des Conventions de Genève, de l'achat à l'étude d'avions-drones par l'armée suisse à l'armée israélienne, dont le pays, force occupante selon le droit international, s'oppose à la création d'un Etat palestinien indépendant et à l'établissement d'une paix durable au Proche-Orient.
L'Association Suisse-Palestine attend de M. Burkhalter qu'il s'engage pour une politique de paix dans la région au lieu de promouvoir une logique de guerre par l'achat de drones israéliens.
Le 3.5.2012, la conseillère nationale Evi Allemann dépose une interpellation au Conseil national, mais elle porte surtout sur des questions budgétaires et techniques - aucune question sur l'aspect commerce des armes avec Israël. Il n'y a que le tout dernier point qui porte sur des aspects plus "diplomatiques":
"14. Quelle appréciation politique le Conseil fédéral porte-t-il sur l'intention du DDPS d'acquérir des drones israéliens?".
Voici la réponse du 4.7.2012 le Conseil fédéral du 4.7.2012 à cette question:
14. Le Conseil fédéral est conscient de la situation politique préoccupante au Proche Orient. Comme cela a déjà été le cas par le passé dans des circonstances semblables, le Conseil fédéral estime toutefois qu'il est acceptable d'acheter du matériel israélien éprouvé et de grande qualité pour équiper notre armée, d'autant plus que dans ce domaine technologique, Israël est réputé dans le monde entier. Le Conseil fédéral est convaincu que l'achat de drones de reconnaissance par la Suisse ne touche ni la crédibilité et l'efficacité de l'engagement en matière de politique extérieure de la Suisse dans la région, ni les capacités militaires d'Israël.
Le 6.6.2012, Muller Geri Conseiller national Vert de Bâle) a également posé au Conseil fédéral la question de savoir pourquoi le Conseil fédéral veut acheter des drones à Israël.
Pourquoi BDS-Suisse s'oppose à l'achat de drones israéliens par armasuisse
BDS Suisse s'oppose à cet achat par l'armée suisse de drones israéliens pour deux raisons principales:
1) BDS s'oppose à ce que l'argent du contribuable soit employé au renforcement de l'économie israélienne en général et son industrie d'armement en particulier. Les autorités suisses se gaussent volontiers du fait que la Suisse est la dépositaire du Droit International Humanitaire, dont elle est également signataire. La Suisse n'a donc pas à conclure des accords commerciaux et, pire, militaires, avec cet Etat, coupable de violations incessantes des droits humains.
2) Comme le montre le résumé sur les entreprises Elbit et IAI, ces drones ont été "testés sur le terrain" en Cisjordanie, à Gaza, au Liban, etc.; les Palestiniens ne sont plus seulement des cibles, ils sont également devenus des cobayes pour le commerce militaire et la technologie de surveillance et de répression. Est-ce que la population suisse peut accepter de soutenir ces industries.
Une lettre ouverte a été adressée en octobre 2012 par BDS-Suisse au conseiller fédéral Ueli Maurer, du DDPS, intitulée :
Nous, signataires de cette lettre, vous appelons à renoncer à vos projets d'achat de drones israéliens. Nous estimons que nos impôts ne doivent pas servir à financer ce type de produits. Faire fructifier l'industrie d'armement israélienne avec l'argent des contribuables suisses n'est pas admissible.
La lettre ouverte a été envoyée en octobre 2012. N'ayant pas reçu de réponse officielle, BDS a décidé de lancer une pétition. Celle-ci a été lancée début mai, avec le soutien de plusieurs organisations.
Aspects juridiques - Les dispositions de la IVème Convention de Genève
À l'issue de la Guerre des Six Jours de 1967, la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est et les Territoires palestiniens occupés sont passés sous le contrôle militaire d'Israël.
Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté des Résolutions (242 puis 338 et autres) demandant la fin immédiate de cette occupation. Dans l'intervalle, tant que dure l'occupation, le droit international humanitaire. Il définit les limites du pouvoir de l'occupant (droits et devoirs) et protège les civils. Le principal instrument applicable est la quatrième Convention de Genève. Celle-ci stipule (art. 49, fin) : « La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d'une partie de sa population civile dans le territoire occupé par elle ». Au sens de cet article, les colonies de peuplement ne sont donc pas légales. La colonisation constitue donc une « infraction grave ».
D'autres violations sont : « l'homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, la déportation ou le transfert illégaux, la détention illégale, le fait de contraindre une personne protégée à servir dans les forces armées de la Puissance ennemie, ou celui de la priver de son droit d'être jugée régulièrement et impartialement selon les prescriptions de la présente Convention, la prise d'otages, la destruction et l'appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire. »
La IVe Convention de Genève est applicable dès le début du conflit (et de l'occupation) et prend fin, pour certaines dispositions, 1 an après la fin des opérations militaires ou, pour d'autres (dont l'art. 49), jusqu'à la fin de l'occupation.
Le fait de l'occupation militaire en Cisjordanie et à Gaza, et donc de l'applicabilité des Conventions de Genève, relève pour la communauté internationale et pour le CICR, p.ex., de l'évidence. Le Conseil de sécurité de l'ONU s'y réfère dans plusieurs de ses résolutions
Israël ne considère pas ce texte juridiquement applicable dans le contexte des territoires de 1967, car, comme l'écrivit en 1970 l'ancien président de la Cour suprême israélienne, Meir Shamgar, cette convention « stipule expressément que, pour cela, un État souverain devait avoir été expulsé et qu'il devait avoir été un État souverain légitime ».